Une personne sur cinq fera l’expérience de la dépression au cours de sa vie, selon les chiffres de l’OMS. La science nous aide à mieux comprendre la dépression et à développer les interventions de santé de demain qui aideront les personnes concernées. ComPaRe Dépression vous présente régulièrement un article scientifique important pour vous tenir au courant des avancées.
RESUME DE L’ARTICLE
L’étude révèle que le délai pour développer un trouble bipolaire (aussi appelé bipolarité) suite à un premier épisode de dépression est retardé chez les adolescents par rapport aux jeunes adultes. Par ailleurs, elle suggère que le diagnostic de trouble bipolaire marque souvent un tournant dans le parcours de soin des patients. Ainsi, les auteurs observent une baisse importante du recours aux soins hospitaliers et à la prescription d’antidépresseurs à la suite d’un diagnostic de trouble bipolaire.
Le contexte de cette recherche
On estime que la moitié des premiers épisodes d’un trouble bipolaire sont dépressifs, ce qui en complexifie et en retarde souvent le diagnostic. Ainsi, environ 50% des patients affectés par un trouble bipolaire a d’abord reçu un diagnostic d’épisode dépressif caractérisé, parfois désigné par les psychiatres comme « dépression unipolaire ». Le terme « unipolaire » est utilisé pour marquer le fait que la personne concernée ne fait qu’une ou des dépressions, en opposition aux épisodes dépressifs faisant partie du trouble bipolaire, qui peuvent précéder et/ou succéder à des épisodes (hypo)maniaques. Cette difficulté diagnostique explique, entre autres, que les personnes concernées par la bipolarité doivent en moyenne attendre 6 ans avant d’entamer un traitement adapté à ce trouble et 7 ans avant d’avoir un diagnostic correct de bipolarité.
Ce retard diagnostique et thérapeutique représente un problème, car le traitement d’un épisode dépressif faisant partie d’un trouble bipolaire n’est pas le même que celui d’un épisode dépressif caractérisé faisant partie d’un trouble « unipolaire ». Ainsi, un traitement par antidépresseurs seuls peut potentiellement aggraver les symptômes d’un épisode dépressif faisant partie d’un trouble bipolaire, en favorisant l’apparition de symptômes (hypo)maniaques. Par ailleurs, le retard diagnostique et thérapeutique dans le trouble bipolaire serait associé à un sur-risque de suicide.
Les objectifs de l’étude
Les troubles bipolaires apparaissent souvent à la période de l’adolescence et/ou chez le jeune adulte, c’est-à-dire chez les « jeunes », entre 12 et 25 ans. Traverser un premier épisode de dépression lorsque l’on est jeune est considéré comme un facteur de risque de développer un trouble bipolaire. Les auteurs de cet article étudient précisément la relation entre l’âge au début d’un premier épisode de dépression et le délai de progression vers un trouble bipolaire chez les adolescents et les adultes.
L’objectif de l’étude est de fournir des informations spécifiques à l’âge sur les besoins en soins hospitaliers des patients avant et après le diagnostic de bipolarité, afin d’améliorer leur prise en charge.
Comment cette étude a été menée ?
Les auteurs utilisent les données d’une cohorte suédoise, la Stockholm MDD Cohort, qui couvre la période 1997-2018 et qui comprend des patients de 0 à 40 ans ayant reçu un diagnostic de dépression.
L’étude inclue 228 patients (pour moitié adolescents/adultes) ayant connu un premier épisode dépressif entre début 2010 et fin 2013, avec une transition vers un trouble bipolaire avant fin 2018. La transition vers le trouble bipolaire est qualifiée de précoce si elle survient dans les 3 ans suivant l’apparition du premier épisode dépressif.
Le recours à des services psychiatriques hospitaliers est utilisé comme mesure de gravité du trouble.
Qu’est-ce que l’étude a découvert ?
Les personnes qui avaient traversé un premier épisode de dépression quand ils étaient adolescents étaient nettement moins susceptibles, comparé aux personnes ayant fait une première dépression plus tardivement, de présenter une évolution rapide vers un trouble bipolaire (7% contre 18% de risque).
De plus, quel que soit l’âge, les auteurs observent une réduction substantielle des soins hospitaliers à la suite d’un diagnostic de bipolarité, ainsi qu’une diminution marquée du recours aux antidépresseurs.
Que peut-on apprendre de cette étude ?
L’analyse du continuum des troubles dépressifs majeurs puis troubles bipolaires a montré que dans cet échantillon de personnes vivant en Suède, les adolescents faisant un premier diagnostic de dépression avaient un risque diminué de moitié de présenter une transition précoce vers un trouble bipolaire, par rapport aux personnes faisant une première dépression à l’âge adulte (18 ans et plus).
On sait déjà que le fait de faire une première dépression lorsque l’on est jeune augmente le risque de développer un trouble bipolaire. Cette étude suggère que pour les jeunes traversant une première dépression, l’évolution de cette dépression « unipolaire » vers un trouble bipolaire se ferait sur une durée plus prolongée que chez les adultes.
De plus, cette étude de cohorte indique qu’un diagnostic de bipolarité est associé à une réduction marquée de la durée de soins hospitaliers et de la prise d’antidépresseurs, et ce quel que soit l’âge. Cette étude suggère que le diagnostic de trouble bipolaire pourrait jouer un rôle crucial dans le parcours des patients, en permettant notamment une prise en charge adaptée.
*Résumé et adaptation française de l’article de Desai Boström E. et ses collègues : Adolescent and Adult Transitions From Major Depressive Disorder to Bipolar Disorder. JAMA Psychiatry. May 29, 2024. doi: 10.1001/jamapsychiatry.2024.1133