Une personne sur cinq fera l’expérience de la dépression au cours de sa vie, selon les chiffres de l’OMS. De cette statistique impressionnante résulte un grand nombre de récits personnels de cette épreuve dans des essais, romans, témoignages, bandes-dessinées etc. Parce que la lecture de ces œuvres peut aider à se sentir moins seul.e, à comprendre ce qu’est la dépression et à trouver des clés pour aller mieux, ComPaRe Dépression vous présente régulièrement un ouvrage que nous avons aimé.
« Se rétablir, ce n’est pas guérir, c’est vivre avec. »
Se rétablir. Une enquête sur le rétablissement en santé mentale, Lisa Mandel, 2022
« Où arrive-t-on quand on revient de tout ça ? » se demande avec désarroi, dans le roman Le Fidèle Berger d’Alexandre Vialatte, le héros interné, double de papier de son auteur, victime d’un effondrement psychique. La bande dessinée de Lisa Mandel apporte à cette question angoissée une réponse stimulante, à la fois très bien documentée et irriguée par un humour salvateur : aussi « dingo » que cela puisse paraître, le diagnostic de trouble psychique n’est pas un aller sans retour vers les enfers de la maladie mentale, mais débouche dans 70% des cas sur « une vie épanouie malgré la maladie ».
D’une histoire familiale qui aurait pu être tragique, où les souffrances psychiques ruissellent d’une génération à l’autre et ricochent au sein des fratries, l’autrice tire une leçon d’optimisme empirique : on peut être malade chronique et pourtant vivre en bonne santé. C’est cette vérité en apparence paradoxale – « La santé n’est pas l’absence de maladie » – que s’attache à démontrer ce livre léger sur un sujet qui l’est beaucoup moins.
Se lançant à la recherche de la santé (mentale) perdue, Lisa Mandel est allée à la rencontre de patients rétablis, et son enquête s’incarne ainsi à travers quatre trajets de vie qui sont autant de parcours de soin et de visages de la maladie mentale : Jonathan, diagnostiqué TDAH, Franck, entendeur de voix, Chloé, souffrant de bipolarité, et Éric, atteint de troubles anxio-dépressifs.
Tous ont un jour trébuché, perdu l’équilibre, basculé du côté de ceux qu’on appelle précisément les déséquilibrés. Se rétablir, c’est alors se remettre sur pied, retrouver un point d’ancrage, s’appuyer sur une stabilité nouvelle. Car « se rétablir, ce n’est pas guérir, c’est vivre avec. » Il n’est nullement question ici d’un retour à l’état antérieur à la maladie, mais de la construction ou de la restauration d’une identité positive et riche de sens, d’une existence gratifiante et autonome, menée en dépit ou dans les limites de la maladie. Être rétabli, comme le dit très justement Jonathan dans ces pages, c’est « avoir le choix de faire des choix », sortir de l’emprise de la maladie, tant de ses symptômes que du conditionnement social qu’elle impose (par le regard et les discours portés sur elle). C’est refuser de s’identifier (et d’être identifié) à ses troubles, ne pas être la maladie (un dépressif), mais être soi avec la maladie (une personne souffrant de dépression).
Si, comme le temps chez Proust, la santé (mentale) perdue est in fine retrouvée par les quatre témoins de l’ouvrage, le rétablissement passe pour tous par un long et complexe cheminement. Car se rétablir – le choix de l’infinitif du titre n’est pas anodin – est un processus dynamique au long cours. Et pour tous, les étapes à franchir et les obstacles à affronter sont globalement les mêmes, malgré la diversité de leurs troubles : le passage, éprouvant mais indispensable, du déni premier à la prise de conscience de ses troubles ; la difficulté pour les soignants à poser un diagnostic et l’errance médicale inhérente, qui dure parfois des années, voire des décennies ; la douloureuse acceptation de ce diagnostic, parfois redoublée par la violence de sa délivrance par un psychiatre peu ou mal formé à cette étape du soin [1].
La BD aborde également la question essentielle de la médication, des tâtonnements inévitables pour trouver la molécule et le dosage adaptés aux effets secondaires parfois plus néfastes que les bénéfices apportés par le traitement. Mais une fois la bonne alchimie trouvée, c’est aussi et surtout de l’effacement salutaire des troubles dont témoignent les quatre patients. Au fil du récit de leurs expériences, Lisa Mandel explique et illustre des concepts clés en santé mentale, tels que le rétablissement, bien sûr, mais aussi l’insight, l’effet rebond, l’alliance thérapeutique et, dans un chapitre passionnant, la pair-aidance, ce principe thérapeutique qui s’appuie sur l’idée que les malades rétablis, en tant qu’« experts d’expérience », sont des alliés indispensables dans le processus de rétablissement d’autres patients. Du reste, si se rétablir, c’est reprendre le pouvoir sur la maladie, c’est aussi parce que le pouvoir ne réside pas uniquement dans le savoir des spécialistes : le savoir expérientiel est un formidable instrument d’empowerment !
Certes, comme le rappelle Chloé, le rétablissement se fait sous le régime de la liberté conditionnelle : il s’accompagne toujours d’une forme de vigilance, d’attention accrue à soi et son état pour prévenir les rechutes, et exige une hygiène de vie saine et un suivi scrupuleux du traitement. Se rétablir, c’est donc le travail de chaque jour, et parfois pour toujours, d’autant plus dans le cas de la dépression, pathologie bien souvent chronique, et dont l’un des symptômes est précisément le sentiment d’incurabilité. Dans ce patient et difficile effort, la lecture de la bande-dessinée de Lisa Mandel est un précieux remède pour dépasser le fatalisme désespéré ou l’effroi paralysant et ouvrir une ligne de fuite, un chemin à suivre, une trouée à emprunter vers l’éclaircie.
À lire également de la même autrice :
– HP, éditions L’Association, collection Espôlette
- L’Asile d’aliénés, 2009
- Crazy Seventies, 2013
– Une année exemplaire, Éditions Exemplaire, 2020
[1] Afin de pallier ce manque de formation, l’équipe ComPaRe Dépression a mené une étude sur l’annonce diagnostique de la dépression. L’étude DISCLOSE a permis le recensement de 306 suggestions d’amélioration de l’annonce diagnostique de dépression. Les résultats seront diffusés dès leur publication.