Une personne sur cinq fera l’expérience de la dépression au cours de sa vie, selon les chiffres de l’OMS. De cette statistique impressionnante résulte un grand nombre de récits personnels de cette épreuve dans des essais, romans, témoignages, bandes-dessinées etc. Parce que la lecture de ces œuvres peut aider à se sentir moins seul.e, à comprendre ce qu’est la dépression et à trouver des clés pour aller mieux, ComPaRe Dépression vous présente régulièrement un ouvrage que nous avons aimé.
« Cette fois il s’agit de toi, ce ne sera plus pareil, ta manière d’être psychiatre va changer comme tout ce qui te concerne à présent, les symptômes, les médicaments, l’hospitalisation, les électrochocs sont devenus un bien communaux patients et à toi, un pont entre vous, c’est définitif ».
L’intime étrangère, d’Anne Révah, Mercure de France, 2021
Cette plongée dans les tréfonds de la dépression est celle qu’à traversée Anne Révah, cheffe du service de pédopsychiatrie à l’hôpital d’Argenteuil. L’autrice la conte à la deuxième personne du singulier, comme à un double étranger qui aurait traversé la frontière invisible qui scinde le monde entre « les fous et les autres ».
Au fil d’une écriture sans ornementation ni faux semblants, elle décrit l’enlisement progressif, imperceptible, dans la souffrance et la tristesse. L’énergie qui s’amenuise. La recherche de causes physiologiques puisque, comme les personnes qu’elle accompagne dans son quotidien professionnel, elle ne pense pas en premier lieu à la dépression. Les consultations chez divers spécialistes, jusqu’au déni : « [Le psychiatre] parle de dépression, l’affaire du cœur au fond ce n’est pas le problème, tu ne comprends pas ce qui t’arrive, mais pas du tout, c’est bien au cœur que tu as mal, c’est lui le problème ».
Page après page, l’héroïne déroule le fil d’un parcours qu’elle a tant de fois observé chez ses patients. L’angoisse irréfragable, le mutisme, les idées suicidaires, le repli « dans un monde inconnu, peuplé de certitudes incongrues, monstrueuses, désorganisées et pourtant limpides, brutales et intraitables ».
Se retrouver de l’autre côté du bureau, elle ne l’avait jamais envisagé. « La mélancolie, c’est un chapitre dans tes cours, quelques patients croisés il y a longtemps, qui vivaient une épreuve effrayante, pour qui la mort était toujours redoutée, tu sais que c’est ça, tu n’as jamais imaginé que ce serait ton tour ». Derrière le diagnostic, elle découvre les souffrances incommunicables, qu’il faut expérimenter dans sa chair pour comprendre ce que le jargon médical nomme avec froideur : ralentissement psychomoteur, péjoration de l’avenir, ruminations, idées de culpabilité, sentiment d’incurabilité.
Anne Révah dévoile son chemin de croix, l’interminable combat contre l’envie de mort. Antidépresseurs, neuroleptiques, hospitalisation, électrochocs. Puis la lente, très lente remontée vers le monde des vivants. Jusqu’au point de rétablissement, celui où on peut de permettre de regarder en arrière. Et mesurer l’héritage inattendu de cette épreuve. « Avec ton grand voyage, il s’est passé quelque chose, le naturel est venu en toi, pas d’illumination divine, mais une sensation de toi différente, ancrée, juste. Il faut avoir parcouru des milliers de kilomètres vers une cité interdite pour vivre ce revirement. »
Entretien avec Anne Révah, autrice
ComPaRe : Merci Anne Révah d’accepter cette interview pour ComPaRe Dépression. Qu’est-ce que votre expérience de la dépression a changé dans votre pratique en tant que médecin psychiatre ?
Anne Révah : Disons que j’ai un regard porté sur les patients qui s’associe à des sensations, celles que je garde de ma mélancolie. Les mots de la clinique sont devenus encore plus consistants, et à chaque étape des troubles présentés par les patients, une ligne de force me mobilise aussi, sans que je me sente en difficulté mais plutôt pour que je sois plus alerte.
ComPaRe : Quelles pratiques de soins, activités, ressources vous ont été particulièrement utiles sur votre parcours de rétablissement ?
Anne Révah: Les électrochocs m’ont sauvé la vie, et je dis ça alors que j’ai des troubles de mémoire importants, mais je sais exactement ce que je leur dois. Par ailleurs, c’est tout un tissage relationnel qui contribue au rétablissement, des relations de qualité, chacune avec ses spécificités, ce tissage est en fait le ciment possible d’un « après la folie ».
ComPaRe : Qu’avez-vous mis en place pour minimiser les risques de faire une nouvelle dépression ?
Anne Révah : Il y a un traitement lourd que je prends pour prévenir la rechute et je sais que ça va s’inscrire dans la durée, mais après deux épisodes mélancoliques, je sais que le traitement est fondamental. Je prends soin tout particulièrement de mon sommeil, et je tâche de ne pas m’exposer à des situations trop conflictuelles, trop « désorganisantes ».